La domination croissante des aliments ultra-transformés dans l'alimentation moderne est devenue un sujet de débat scientifique et public intense. Ces aliments, qui constituent une part importante de l'apport calorique dans de nombreux pays, sont de plus en plus liés à une série de problèmes de santé négatifs. À la lumière de ces préoccupations, l'Association américaine du cœur (AHA) a publié vendredi dernier, le 8 août 2025, un nouveau rapport consultatif scientifique qui analyse en détail les preuves existantes sur l'impact des aliments ultra-transformés sur la santé cardiométabolique et propose des orientations pour les recherches futures et les réformes politiques. Ce document, publié dans la prestigieuse revue Circulation, représente une étape cruciale dans la compréhension de la relation complexe entre la transformation industrielle des aliments et la santé de la population.
Que sont exactement les aliments ultra-transformés ?
Pour pouvoir même discuter de leur impact, il est crucial de comprendre ce que l'on entend par le terme d'aliments ultra-transformés (en anglais, ultra-processed foods, UPF). Le système le plus largement accepté pour classer les aliments selon leur degré de transformation est le système NOVA, qui divise les aliments en quatre groupes fondamentaux. Cette classification ne prend pas en compte la valeur nutritionnelle, mais se concentre exclusivement sur la nature, l'étendue et le but de la transformation industrielle.
- Groupe 1 : Aliments non transformés ou minimalement transformés. Il s'agit de parties de plantes ou d'animaux consommées crues ou ayant subi des processus minimaux tels que le séchage, le broyage, la réfrigération ou la pasteurisation sans ajout d'autres substances. Les exemples incluent les fruits et légumes frais, les œufs, le lait, le poisson et la viande.
- Groupe 2 : Ingrédients culinaires transformés. Ce sont des substances obtenues à partir des aliments du premier groupe par des processus tels que le pressage, le raffinage ou le broyage. Ils sont utilisés en cuisine pour préparer des plats. Les exemples sont les huiles végétales, le beurre, le sucre et le sel.
- Groupe 3 : Aliments transformés. Ces produits sont issus de la combinaison d'aliments du premier et du deuxième groupe. Il s'agit de produits relativement simples visant à prolonger la durée de conservation ou à améliorer le goût. Ce groupe comprend les légumes en conserve, les fruits au sirop, les fromages et le pain fraîchement préparé.
- Groupe 4 : Aliments ultra-transformés. Ce sont des formulations industrielles composées de nombreux ingrédients, y compris des substances rarement utilisées dans la préparation domestique. Ils contiennent des ingrédients extraits d'aliments (comme la caséine, la protéine de lactosérum, les isolats de soja), mais aussi ceux synthétisés en laboratoire (comme les exhausteurs de goût, les colorants, les émulsifiants et les édulcorants artificiels). Les exemples typiques sont les boissons gazeuses, les collations sucrées et salées, les biscuits, le pain et les pâtisseries produits industriellement, les céréales pour le petit-déjeuner, les charcuteries et les plats préparés. L'objectif de leur production est de créer des produits extrêmement savoureux, pratiques et durables à bas prix.
Augmentation inquiétante de la consommation et impact sur les habitudes alimentaires
Le paysage alimentaire mondial a radicalement changé depuis les années 1990, avec une augmentation rapide de la disponibilité et de la consommation de produits ultra-transformés. Les données sont alarmantes, en particulier aux États-Unis, où l'on estime que jusqu'à 70 % des produits sur les étagères des supermarchés contiennent au moins un ingrédient ultra-transformé. Un rapport récent des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) a montré que les aliments ultra-transformés représentent jusqu'à 55 % de l'apport calorique total chez les personnes de plus d'un an. Ce pourcentage est encore plus élevé chez les jeunes, de 1 à 18 ans, où il atteint près de 62 %. Même chez les adultes, la part des calories provenant de ces produits s'élève à un chiffre significatif de 53 %. Cette tendance ne se limite pas aux États-Unis ; des schémas similaires sont observés au Royaume-Uni, au Canada et en Australie, et la croissance la plus rapide est enregistrée dans les pays à revenu faible et intermédiaire, où les produits industriels supplantent les régimes traditionnels et plus sains.
L'une des raisons principales de leur popularité réside dans des facteurs économiques et sociaux. Ils sont relativement bon marché, extrêmement pratiques à consommer et font l'objet d'un marketing agressif, ciblant souvent les enfants, les jeunes et les communautés à statut socio-économique inférieur. Cette disponibilité et cette praticité entraînent le remplacement d'alternatives plus saines comme les fruits frais, les légumes et les céréales complètes, ce qui se traduit par une baisse globale de la qualité nutritionnelle de l'alimentation. Un tel modèle alimentaire est en contradiction directe avec les directives diététiques recommandées par l'Association américaine du cœur.
Preuves scientifiques : Lien avec les maladies cardiaques et autres affections chroniques
Le nouveau rapport de l'AHA s'appuie sur un nombre croissant d'études observationnelles qui établissent un lien entre une consommation élevée d'aliments ultra-transformés et un risque accru de diverses maladies. Une méta-analyse d'études prospectives, citée dans le rapport, a révélé une relation claire de type « dose-réponse » : plus la consommation de ces produits est élevée, plus le risque est grand. Par rapport à une faible consommation, une consommation élevée d'aliments ultra-transformés est associée à un risque de 25 % à 58 % plus élevé de problèmes cardiométaboliques, notamment l'infarctus du myocarde, l'accident vasculaire cérébral, l'accident ischémique transitoire et le diabète de type 2. Le risque de mortalité toutes causes confondues était également plus élevé de 21 % à 66 %. Les scientifiques soulignent que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer des seuils de consommation journalière sûrs et pour évaluer le risque incrémentiel.
Outre les maladies cardiométaboliques, les recherches ont également montré des liens avec d'autres affections graves. Certaines grandes études suggèrent une corrélation entre une forte consommation d'aliments ultra-transformés et un risque accru de développer différents types de cancer, en particulier le cancer du sein et du système digestif. De plus, des preuves émergent qui indiquent un lien possible avec des problèmes de santé mentale, tels que la dépression et l'anxiété, ainsi qu'avec les maladies inflammatoires de l'intestin.
Plus que de mauvais nutriments : Le rôle des additifs et de la transformation industrielle
L'une des questions clés que se pose la communauté scientifique est de savoir ce qui rend exactement ces aliments malsains. Le problème réside-t-il uniquement dans leur mauvais profil nutritionnel – une teneur élevée en graisses saturées, en sucres ajoutés et en sodium (sel) – ou y a-t-il quelque chose de nocif dans le processus d'ultra-transformation lui-même et les additifs utilisés ? La plupart des produits ultra-transformés appartiennent en effet à la catégorie des aliments riches en matières grasses, en sucre et en sel (HFSS), mais les experts estiment que ce n'est pas toute l'histoire.
La recherche suggère que des additifs spécifiques et des processus industriels peuvent avoir des effets négatifs indépendamment des nutriments. Par exemple, des émulsifiants comme la carboxyméthylcellulose et le polysorbate-80, utilisés pour améliorer la texture et prolonger la durée de conservation, ont montré dans certaines études qu'ils peuvent perturber l'équilibre du microbiote intestinal, favoriser des processus inflammatoires légers et contribuer au développement du syndrome métabolique. De même, les édulcorants artificiels peuvent perturber la communication entre l'intestin et le cerveau et affecter la réponse du corps au sucre réel.
En outre, la structure physique ou la « matrice alimentaire » des produits ultra-transformés est souvent compromise. Ils sont généralement mous, denses en énergie et faciles à mâcher, ce qui conduit à une alimentation plus rapide, à des signaux de satiété réduits et, par conséquent, à un apport calorique plus élevé. Leur « hyper-palatabilité » – un goût extrême obtenu par des combinaisons précises de graisses, de sucres, de sel et d'exhausteurs de goût – peut affecter les centres de récompense dans le cerveau, encourageant la suralimentation compulsive et la prise de poids.
Tous les aliments ultra-transformés ne se valent pas : La zone grise qui sème la confusion
Les auteurs du rapport avertissent que la situation n'est pas noire ou blanche. Tous les aliments ultra-transformés ne sont pas nutritionnellement pauvres. Un nombre limité de produits de cette catégorie, comme certains pains de grains entiers commerciaux, des produits laitiers à faible teneur en matières grasses et en sucre, et certaines alternatives végétales, peuvent avoir un profil nutritionnel favorable et faire partie d'une alimentation équilibrée. C'est précisément cette zone grise qui crée la confusion tant pour les consommateurs que pour les professionnels de la santé.
Il existe également une crainte justifiée que l'industrie alimentaire, confrontée à la pression du public, puisse se concentrer sur ce que l'on appelle la reformulation. Cela signifie que les fabricants pourraient retirer ou remplacer les ingrédients considérés comme des marqueurs de l'ultra-transformation pour que leurs produits paraissent plus sains, sans pour autant améliorer leur valeur nutritionnelle fondamentale. De tels produits, bien que techniquement moins « ultra-transformés », pourraient toujours être riches en graisses saturées, en sucre et en sel.
Appel à l'action : Recommandations pour la recherche et les changements de politique
En équilibrant le besoin d'un approvisionnement alimentaire riche en nutriments et abordable, le rapport scientifique de l'Association américaine du cœur appelle à des stratégies à plusieurs niveaux. Les recommandations s'adressent aux individus, à l'industrie, mais aussi aux décideurs politiques.
Les propositions clés incluent l'introduction d'approches qui encourageront le changement des habitudes alimentaires – réduire la consommation d'aliments ultra-transformés riches en matières grasses, en sucre et en sel, et augmenter la consommation de légumes, de fruits, de noix, de graines, de légumineuses, de céréales complètes et de protéines maigres. Au niveau politique, il est recommandé d'adopter des stratégies telles que la mise en place d'étiquetages clairs sur le devant des emballages. Des exemples de pays comme le Chili, qui a introduit des octogones noirs d'avertissement, montrent que de telles mesures peuvent réduire l'achat de produits malsains et inciter l'industrie à des changements positifs.
L'urgence d'augmenter le financement de la recherche est également soulignée pour répondre à des questions clés : dans quelle mesure la nocivité des aliments ultra-transformés est-elle due au processus lui-même, et dans quelle mesure est-elle due aux mauvais ingrédients ? Il est également nécessaire de faire progresser la science des additifs et de simplifier et d'accélérer leur évaluation et leur réglementation. En attendant plus de réponses, le message de l'Association américaine du cœur reste clair : pour une meilleure santé à court et à long terme, il est nécessaire de réduire la consommation des produits ultra-transformés les plus nocifs et de baser son alimentation sur des aliments complets et minimalement transformés.
Source : American Heart Association
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